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L'Eclair et la Lanterne

Une étudiante de 40 ans à Paris qui aime écrire. Sauf mention contraire, toutes les photos sont de l'auteur.

Atami (3)

Il est dix-sept heures et mon mari dort comme une souche, après avoir vidé une canette de chûhai achetée à la machine du couloir. Celle-ci ne vend que de l’alcool. A en juger par son succès, nous ne devons pas être le seul couple en déroute, attendant avec impatience que les vacances se terminent. Nous sommes vraiment mal assortis, et cette réalité me saute en pleine figure lorsqu’il se met à ronfler, et me réveille moi-même d’une petite demi-heure de sieste.

Après toutes ces années passées à essayer de rétrécir pour m’adapter aux dimensions de cette vie étriquée, j’ai cessé de lutter. J’attends benoîtement qu’elle se décide à prendre un tournant plus positif. La plage me fait de l’œil depuis la baie vitrée de notre chambre. Le cœur battant, je pousse la porte et je m’échappe. Je traverse la route, puis la promenade, et me voilà sur la jetée.

Atami me rappelle un peu Cannes, avec son odeur de sel et d’algues. Le paysage n’a pas grand-chose à voir, mais il y a tout de même une plage léchée par le ressac. J’enlève mes ballerines, je retrousse mon pantalon, et (soyons fous) je marche jusqu’à l’eau. Le seul homme qui y barbotait, ce matin, portait d’épaisses cuissardes, et semblait pêcher quelque chose à l’aide d’une sorte de panier. A part lui, tout le monde a gardé ses chaussures : les Japonais prenant toujours bien garde à ne pas trop s’approcher de la mer.

La plage n’est pas spécialement propre, mais après la chaleur du onsen, mes veines apprécient bien ce petit coup de fouet. Puis je me dirige vers la digue, les pieds croûteux de sable gris. Je m’assieds sur un rocher. Le massage de la veille a manqué me tordre le cou – j’en tremble rien que d’y repenser. Au moins, depuis quelques minutes, je respire un peu mieux. Je remonte la promenade, jalonnée de palmiers qui donnent de véritables dattes. Je fais mine d’explorer l’autre côté de la baie. Mais la route nationale me barre le chemin. Je dois faire demi-tour.

J’achète ma sempiternelle collation au konbini du coin, et me pose dans un parc charmant, sinueux et fleuri, parsemé çà et là de petites chaises en bois. Les hirondelles ne se laissent pas approcher, mais le gros pigeon rutilant qui prenait le frais sur les dalles roses ne se fait pas prier pour accepter quelques grains de riz. Malheureusement pour ses collègues qui rappliquent aussitôt, je suis trop affamée pour nourrir tout le monde.

Un peu plus loin, sous un pin enveloppé de jute et étayé de planches, une plaque commémorative relate l’histoire d’O-Miya, qui rompit là ses fiançailles avec un prétendant loyal au profit d’un héritier qui lui offrait un diamant. Il y a une centaine d’années, du temps de la gloire d’Atami, ce feuilleton fit les délices de la presse japonaise. A la fin, l’amoureux éconduit la jetait brutalement à terre.

 

Photo : Atami, 2015

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