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L'Eclair et la Lanterne

Une étudiante de 40 ans à Paris qui aime écrire. Sauf mention contraire, toutes les photos sont de l'auteur.

Extrait de roman

- Eh bien, ça a l’air d’aller mieux, toi ! Sourit Pierre dans son dos, en tendant la main vers le plat.

Il était rasé, parfumé, guilleret ; en un mot, il ne réalisait pas du tout qu’elle n’avait pas dormi de la nuit.

- Tu as vomi dans la voiture, répliqua-t-elle froidement, en mettant la quiche à l’abri sur le haut du frigo. Et Yerlan est payé combien pour nettoyer ta bile sur ses tapis de sol ?

Il gratta pensivement son crâne, où virevoltaient quelques rares mèches fauves qu’il ne prenait même plus la peine de couper. La neige des monts Tien Shan descendait vers la plaine, lentement, mais aussi sûrement que la calvitie sur le haut de son crâne.

- Il commence à faire frais, dis donc, éluda-t-il dans un bâillement.

- Un président doit savoir se tenir en public.

- Comment ça ?

- Ce sont tes propres mots. Quand tu critiquais George.

- Mais enfin, mais qu’est-ce que j’ai fait ?

Clémentine se retourna, un paquet de saucisses à la main : 

- Tu ne t’en souviens vraiment pas ?

- Eh bien, je suis devenu président. Mon salaire va doubler…

- Je n’ai jamais vu George prendre ses employées sur ses genoux, insista Clémentine.

Moi si, songea Pierre. Mais George n’invitait jamais sa femme aux événements de l’entreprise, et il n’avait aucun intérêt à ce qu’elle l’apprenne, parce qu’il avait bien l’intention de remettre ça : depuis qu’elles avaient découvert Clémentine, ses employées n’avaient jamais été aussi obéissantes.

- C’est elle qui est venue ! Protesta-t-il, boudeur.

- Tu aurais dû la repousser, insista-t-elle, en cassant un œuf dans la poêle.

- Mais je ne l’ai même pas touchée !

- Mais tu l’as laissée te toucher.

Elle ne semblait même pas avoir remarqué les œillades désespérées de Gulshat, autrement plus éprise de lui que cette petite tire-au-flanc de Madina. Et en un sens, c’était tant mieux.

- Et c’est pour ça que tu me prives de tarte ?

Il avait l’air tellement sincère qu’elle éclata de rire, et lui avec elle. Ils avaient tous trop bu, et elle, elle n’avait pas envie de se gâcher la journée en lui rapportant ce que cette sale gamine lui avait dit, avant d’aller rejoindre son petit ami à l’autre bout de la salle. N’en déplût à Pierre, Madina avait bel et bien un fiancé, et il s’agissait de Youri : elle le lui avait dit, comme si le fait de s’installer sur les genoux de son patron sous les yeux de son compagnon était la chose la plus naturelle du monde. Mais l’événement à venir, celui qui le privait de tarte, la mettait déjà suffisamment sur les nerfs. Quel genre de femmes allait-elle rencontrer là-bas, et qu’allait-elle pouvoir leur raconter : qu’elle était en train de rater sa vie ? Il était peut-être encore un peu tôt pour le dire.

Elle sacrifia à leur gueule de bois deux cachets du citrate de bétaïne qu’ils avaient rapporté de France ; ils se promirent solennellement de ne plus autant boire, et l’incident fut clos.

***

Tout ce qui bouge, chapitre 1, p. 13 sur environ 255. 

Premier jet rédigé au PAM Opéra entre juillet et décembre 2019, retravaillé exclusivement à domicile depuis.

Photo : Almaty, 2013, initialement parue sur mon compte Facebook (côté privé).

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