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L'Eclair et la Lanterne

Une étudiante de 40 ans à Paris qui aime écrire. Sauf mention contraire, toutes les photos sont de l'auteur.

Extrait de roman (3)

 

Elle se garda bien de lui rappeler qu’il était parti skier tout seul après la fermeture. Quant au chirurgien, il fit craquer ses phalanges :

- C’est un mal pour un bien. Comme ça, je pourrai vous opérer rapidement.

C’est-à-dire ?

Le chirurgien consulta son agenda :

- J’ai une disponibilité le 14.

Roberto s’esclaffa :

- C’est le jour du cocktail de la mairie.

Et Agathe s’écria :

Ça ne peut pas attendre la fin de la saison ?

- Je ne vois pas l’intérêt d’attendre, répliqua le chirurgien, qui s'attendait plutôt à les voir demander un sursis pour la Saint-Valentin. Il faudra de toute façon l’opérer, et même sans ça, il ne remarchera pas normalement avant l’été prochain. Autant en terminer tout de suite !

Il quitta la chambre, triomphant d’avoir eu gain de cause. Agathe observa Roberto ; il avait bien fanfaronné, mais sous sa barbe de deux jours, il avait l’air complètement épuisé. Elle se demandait une fois de plus si elle allait pouvoir tenir seule, lorsque son téléphone sonna. A l’autre bout du fil, Jeanne sanglotait si bruyamment que Roberto l’entendit, et chuchota :

Mets le haut-parleur.

Elle laissa Jeanne reprendre son souffle. Ils savaient déjà tous les deux de quoi il s’agissait : le bruit commençait à courir pour de bon à la station qu’Eriko et Ono faisaient ensemble tout autre chose que travailler. Fatigué de ne jamais la trouver lorsqu’il avait une corvée à lui refiler, Roberto n’attendait qu’un prétexte pour la convoquer en entretien ; et Jeanne, qui, de son côté, n’en pouvait plus de la subir, paraissait sur le point de lui en fournir un.

- Qu’est-ce qui se passe ? S’enquit prudemment Agathe.

Jeanne respira un bon coup, et commença :

- Ça ne va pas du tout. Ce matin, j’allais chercher du bois dans la remise, et j’ai vu…

Elle pleurait tellement fort qu’elle dut s’interrompre un instant.

- Je les ai vus qui… Enfin… Ils se roulaient des pelles derrière les bûches.

Elle renifla deux ou trois fois, avant de se reprendre :

- Qu’est-ce que je dois faire ?

- Je ne sais pas, répondit Agathe, prise de court. Je suis à l’hôpital avec le chef.

- Comment va-t-il ?

Pas trop mal. Je vois ça avec lui et je te rappelle.

Roberto rajusta ses oreillers :

- Tu vois, j’avais raison !

- Je croyais qu’elle voulait sortir avec Shimoda, avoua Agathe.

- Ah bon ? Je ne pense pas. Elle est toujours fourrée au sanatorium. Et s’il n’y avait que ça... ça fait quelques semaines que je pense à la virer.

- Pourquoi ?

- Elle m’a sauté dessus !

- Pardon ?

- Oui, la seule fois où je l’ai emmenée skier. Crois-moi, ça ne s’est jamais reproduit… Et en plus, elle n'a pas dépassé le niveau du chasse-neige ! Je le mettais sur le compte de la différence culturelle, jusqu’à ce que j’en parle à Shimoda. Elle est allée le chercher aussi. Il appelle ce genre de filles… Comment on dit… Kane-Kane Onna ? C’est un genre de croqueuse de diamants, en moins subtil.

Agathe éclata de rire, tellement c’était bien vu… et tellement c’était raté : Eriko n’avait jamais fait qu’intriguer, pour se faire débouter coup sur coup par les deux hommes qu’elle avait essayé de lui souffler. Elle n'allait certainement pas la plaindre !

- Je me suis endetté sur trente ans pour acheter cette station, poursuivit-il, soucieux. Et pour assumer ça, crois-moi : il faut avoir les nerfs solides. Evidemment, elle n'a vu que mon titre...

Ils se turent un instant, pensifs. Eriko était ambitieuse, ce n'était un secret pour personne. Alors qu'allait-elle faire avec Ono, ce petit bonhomme tout chauve qui vivait déjà en concubinage ?

- Et que vas-tu faire de cette fille ? Reprit Agathe.

Il leva les mains au ciel :

- Que veux-tu que je fasse ? D’ici à ce qu’on retrouve quelqu’un, tu ne t’en sortiras jamais toute seule. Rappelle-lui qu’elle a signé un contrat. Avec nous. Pas avec Ono !

***

Extrait d'Etoile des Neiges, 258 pages, p. 107-108.

Photo : Claire Galvin, Shymbulak, Kazakhstan, 2012.

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