Aujourd'hui est une petite annonce

Appel à la réflexion (sensée) sur la question religieuse (et pas que musulmane)

J'ai un peu hésité avant de réagir sur ce sujet, mais après avoir fréquenté pendant un an les bancs de la Sorbonne-Nouvelle, où nous débattons de ce genre de questions sans tabou, tant en études indiennes qu'en sciences du langage, je me lance.

Depuis quelques jours, la France entière s'indigne de quelques élèves de dix ou onze ans qui, pendant la pause déjeuner, ont fait des prières musulmanes à l'école, cela dans plusieurs écoles. Et, jusqu'au plus haut niveau de l'Etat, on juge cela "extrêmement préoccupant".

Retour en arrière de trente ans. J'en ai dix, moi aussi. Je suis catholique pratiquante (je cesserai de l'être à l'âge de 13 ans). Je vais au catéchisme tous les mercredis, avec quelques-uns de mes camarades de classe. Et il y a de fortes chances qu'avec eux, nous ayons simulé des messes ou des prières dans la cour de l'école, sans que cela ne choque personne. Il y a même des chances qu'en tant que préadolescents, nous nous soyons un peu moqués du curé et des soeurs.

Retour en arrière de dix ans. Je vis au Kazakhstan, qui est un pays musulman. Nous sommes en voyage au Japon avec des concessionnaires. Un certain nombre d'entre eux sont pratiquants et décident de faire leur prière dans les couloirs du Shinkansen. Bien entendu, cela a dérangé le passage des voyageurs et du personnel, mais une petite explication et tout était réglé.

Je souhaite maintenant savoir pourquoi la France fait une affaire d'Etat de ces prières musulmanes. Les enfants ont-ils appelé à la haine raciale ? Les parents sont-ils radicalisés, ont-ils organisé ces prières ? Ont-ils fait du prosélytisme ? Dans ce cas, effectivement, la réaction est justifiée.

Sinon (et par ailleurs) : avant de leur envoyer la grosse cavalerie, a-t-on rappelé à ces élèves que l'école française était laïque ? Qu'ils pouvaient, s'ils y tenaient, s'inscrire dans une école privée ? Donne-t-on encore à la jeunesse des cours d'éducation civique ? Que savent-ils, à leur âge, du principe de laïcité ? Enseigne-t-on encore en classe de cinquième l'éducation civique et les bases de l'islam en histoire, afin que chacun puisse se comprendre et se tolérer ? (On devrait faire pareil avec le judaïsme, le bouddhisme et d'autres religions, soit dit en passant, car la France est de fait plurielle.)

Ma ville d'origine, où il y avait une usine et une grosse communauté maghrébine, organisait tous les ans une soirée couscous (avec le concours des écoles et de la paroisse locales, si ma mémoire est bonne), et ça fonctionnait plutôt bien. On y dansait jusqu'à l'aube (oui, les musulmans aussi !). Est-il choquant de rappeler qu'ils sont des êtres humains comme les autres, avec les mêmes préoccupations ? Amour, argent, santé... Comme dans les horoscopes (haha). La culture (et non la religion, même si cette dernière en est un corollaire) fait qu'on les exprime différemment ; mais fondamentalement nous sommes les mêmes, et j'ai suffisamment voyagé pour en témoigner. Pourquoi ne pas prendre le temps de se connaître ? Ne serait-ce que pour calmer le jeu.

Aucune réponse à ces questions dans la presse. Juste la condamnation unanime d'enfants (car ce sont des enfants !) qui ne savaient peut-être pas qu'ils s'apprêtaient à faire l'objet de l'opprobre publique. A voir le titre qui suit l'article, on constate que des amalgames sont en cours, et pas des plus subtils. Pourquoi tant de crispation ? Quand il y a un problème, on le règle et puis voilà. Pas besoin d'humilier toute une communauté au passage !

On voudrait faire détester les musulmans de France qu'on ne s'y prendrait pas autrement. Et pendant la visite de Mohammed Ben Salmane, et dans le cadre d'une réindustrialisation de la France, qui offrira bientôt des emplois, je trouve cela particulièrement déplacé et disproportionné. Pour ne pas dire, carrément orienté !

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(Photo : site du Figaro ce jour.)